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Salarié seul témoin de son accident : quels leviers pour l’employeur ?

  • Photo du rédacteur: Rodolphe BAYLE
    Rodolphe BAYLE
  • 10 juil.
  • 6 min de lecture

1. Entre douleur déclarée et doute sur la réalité de l'accident


La reconnaissance des accidents du travail par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) s’inscrit dans un régime probatoire singulier, fondé sur un mécanisme déclaratif renforcé par une instruction administrative. Mais lorsque l’employeur émet des réserves sur la matérialité du fait accidentel, la procédure bascule dans une dynamique contentieuse où la preuve devient l’élément pivot.


C’est précisément ce qui s’est joué dans l’affaire examinée par la Cour d’appel de Nancy le 21 mai 2025. Un salarié, ouvrier outilleur dans une entreprise industrielle, déclare avoir ressenti une vive douleur à l’épaule droite alors qu’il effectuait une manœuvre de desserrage sur une presse. L’accident est immédiatement signalé, consigné au registre des accidents bénins et fait l’objet d’une déclaration formelle à la CPAM. Jusque-là, rien d’inhabituel.


Mais très vite, l’employeur manifeste des doutes. Non seulement l’inscription dans le registre semble irrégulière, rédigée par le salarié lui-même, mais plusieurs éléments contextuels viennent troubler la linéarité du récit. Douleurs évoquées les jours précédents, absence de témoin direct, tensions entre le salarié et sa hiérarchie… autant d’indices qui amènent la société à contester non pas seulement la qualification juridique de l’accident, mais son existence même.


S’enclenche alors une procédure classique : saisine de la Commission de recours amiable, puis du Pôle social du tribunal judiciaire d’Épinal, qui donne raison à la CPAM. Refusant d’en rester là, l’employeur interjette appel. Il conteste non seulement la décision de reconnaissance, mais surtout son opposabilité, en affirmant que la matérialité de l’accident n’est pas établie selon les exigences légales.


Cette affaire, banale en apparence, révèle en réalité un enjeu juridique et stratégique crucial : dans quelle mesure une entreprise peut-elle faire obstacle à une décision de prise en charge d’un accident du travail en prouvant l’absence d’éléments objectifs suffisants ? Et au-delà, que recouvre réellement la notion d’« inopposabilité » dans ce contexte ?


C’est à ces questions que la Cour d’appel va répondre, en mettant à l’épreuve la solidité de l’enquête de la CPAM, la cohérence des déclarations du salarié, et la qualité des éléments apportés par l’employeur.


2. Des positions irréconciliables ?


Dans ce dossier, la procédure d’appel s’est articulée autour de deux lectures diamétralement opposées de la situation, mettant en lumière des tensions récurrentes entre les exigences de gestion du risque professionnel d’un côté, et la défense de la sécurité sociale de l’autre.


2.1. L’employeur : une contestation rigoureuse, fondée sur des faits tangibles


La SARL [5], représentée par son conseil, a construit sa ligne de défense autour de la remise en cause de la matérialité de l’événement accidentel. Son raisonnement s’appuie sur plusieurs points clés :


  • Absence de témoin direct : aucun salarié n’a assisté à l’instant précis où la douleur aurait surgi. Le seul témoignage recueilli est celui d’un collègue… qui est également le beau-père du salarié concerné. La neutralité du témoignage est ainsi contestée.

  • Douleurs antérieures connues : selon la direction, plusieurs échanges internes ont fait état de plaintes exprimées par le salarié dès les jours précédant le 8 septembre 2022. Le contexte laisse donc planer le doute sur une douleur progressive, aggravée par le travail, plutôt que sur un accident soudain.

  • Irrégularité dans le registre des accidents bénins : l’inscription de l’incident a été faite directement par le salarié, alors qu’elle aurait dû l’être par un sauveteur secouriste du travail, conformément aux règles internes. L’absence de formalisation régulière fragilise la chronologie.

  • Conflits de nature disciplinaire : la hiérarchie évoque un échange tendu avec le salarié le matin même, au sujet de manquements antérieurs. Cet élément jette une lumière différente sur les intentions du salarié au moment de signaler l’incident.


Sur cette base, l’entreprise demande à la cour de constater l’insuffisance des preuves et de prononcer l’inopposabilité de la décision de la CPAM, tout en sollicitant la condamnation de celle-ci aux frais et à une indemnité de procédure.


2.2. La CPAM : la défense d’une décision prise dans les règles


Face à cette contestation nourrie, la CPAM de Meurthe-et-Moselle maintient sa position. Elle insiste sur les éléments suivants :


  • Déclaration immédiate : le salarié a signalé le fait sans délai, ce qui correspond au comportement attendu en cas d’accident du travail.

  • Cohérence du récit : les circonstances décrites par le salarié, bien que non corroborées par un témoin direct, sont techniquement crédibles et illustrées par des photographies du poste de travail.

  • Présence d’indices matériels : l’inscription dans le registre, la déclaration d’accident, le certificat médical initial et l’existence d’un témoin indirect forment, selon elle, un faisceau suffisant pour justifier la prise en charge.

  • Respect de la procédure administrative : la caisse souligne avoir mené une enquête conformément aux textes, recueilli les pièces utiles, et notifié sa décision dans les délais légaux.


3. Le cœur du litige : quel degré de preuve pour faire obstacle à la reconnaissance d’un accident du travail ?


Au croisement des logiques de prévention, de protection sociale et de gestion du risque employeur, cette affaire pose une question juridique centrale, aux implications pratiques immédiates pour toute entreprise confrontée à une déclaration d’accident contestée :

La caisse primaire peut-elle valablement imposer à l’employeur une décision de prise en charge d’un accident du travail si la matérialité du fait accidentel repose uniquement sur les déclarations du salarié ?

Cette interrogation en apparence technique engage en réalité des principes fondamentaux du contentieux de la sécurité sociale. Deux notions doivent ici être distinguées :


  • La prise en charge de l’accident du travail, qui relève d’une appréciation propre à la CPAM et repose sur un faisceau d’indices ;

  • L’opposabilité de cette décision à l’employeur, qui suppose que l’événement à l’origine de la lésion soit objectivement établi.


Car si le salarié bénéficie d’une certaine protection procédurale, notamment une présomption d’imputabilité au travail dès lors que l’accident survient dans le cadre de son activité, cette présomption n’est pas absolue, surtout lorsque des éléments sérieux viennent en contester la matérialité.

En d’autres termes, l’employeur peut obtenir que la décision de la caisse soit déclarée inopposable, non pas parce qu’elle est irrégulière en soi, mais parce qu’elle ne repose pas sur des preuves suffisantes à son égard. Cette inopposabilité emporte des effets concrets : elle libère l’employeur de toute conséquence en matière de tarification AT/MP, sans remettre en cause les droits du salarié vis-à-vis de la sécurité sociale.

Ainsi, la cour d’appel est invitée à trancher une question particulièrement sensible pour les services RH et juridiques : jusqu’où un employeur doit-il aller pour faire obstacle à une décision qu’il estime infondée ? Et corrélativement, quels éléments la CPAM doit-elle réunir pour opposer valablement sa décision ?


4. Le raisonnement de la Cour : une exigence de preuve objectivée


Pour résoudre le litige, la Cour d’appel de Nancy s’appuie sur les principes dégagés par la jurisprudence constante en matière d’accidents du travail et, notamment, sur l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, qui définit l’accident du travail comme un événement survenu par le fait ou à l’occasion du travail et ayant entraîné une lésion.

Mais au-delà de cette définition légale, c’est bien la charge de la preuve qui est au cœur du raisonnement. Dans les contentieux opposant l’employeur à la caisse, il appartient à cette dernière de démontrer que l’accident invoqué est matériellement établi, par des éléments objectifs, graves, précis et concordants. Les simples affirmations du salarié, fussent-elles circonstanciées, ne peuvent suffire à elles seules.


4.1. Une analyse méthodique des éléments du dossier


La Cour procède à un examen minutieux des faits et pièces versées aux débats :


  • La déclaration d’accident évoque une douleur survenue brutalement lors du desserrage d’un écrou, opération effectuée à l’aide d’un bras de levier improvisé.

  • L’accident est inscrit le jour même au registre des accidents bénins, mais par le salarié lui-même, sans contre-signature, en méconnaissance des procédures internes.

  • La certification médicale est rédigée le lendemain, attestant d’une tendinopathie à l’épaule droite.

  • La présence d’un témoin indirect (le beau-père du salarié) est évoquée, mais ce dernier n’a pas assisté aux faits.

  • Le responsable hiérarchique indique que le salarié s’était plaint de douleurs aux jours précédents et ne lui a signalé aucun accident au matin des faits.


La Cour relève également que le salarié n’était pas seul dans l’atelier ce jour-là, mais aucun autre témoignage spontané n’est produit.

4.2. Une absence de certitude suffisante sur la matérialité des faits

Sur la base de ces éléments, la juridiction d’appel considère que la matérialité du fait accidentel ne peut être regardée comme établie : le faisceau de preuves requis fait ici défaut.

Ainsi, la décision de la CPAM, fondée sur une enquête jugée insuffisamment probante, ne peut être opposée à l’employeur. Le droit de la sécurité sociale impose en effet que la prise en charge d’un accident soit fondée sur des éléments vérifiables, notamment lorsqu’elle entraîne pour l’entreprise une incidence sur la tarification des risques professionnels.

4.3. La solution retenue : l’inopposabilité comme issue


La Cour infirme le jugement du tribunal judiciaire d’Épinal et, statuant à nouveau, prononce l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur.

Cette décision rappelle avec force que l’inopposabilité n’est pas une échappatoire procédurale, mais bien un outil de protection légitime de l’entreprise, lorsqu’elle peut démontrer que les fondements d’une reconnaissance d’accident du travail sont trop fragiles.

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