De l’accident déclaré à l’inopposabilité obtenue : récit d’une contestation réussie
- Rodolphe BAYLE
- 27 mars
- 5 min de lecture
La prise en charge d’un accident du travail par la CPAM est présumée légitime dès lors qu’il survient au temps et au lieu du travail.
Mais cette présomption n’est pas irréfragable.
Encore faut-il que la matérialité du fait accidentel soit établie. À défaut, l’employeur peut obtenir l’inopposabilité de la décision de prise en charge.
Un parcours contentieux qui commence souvent bien avant le tribunal...
Les décisions récentes des cours d’appel révèlent une vigilance accrue des juridictions sur les conditions de fond de la reconnaissance des accidents du travail. À travers l’étude de plusieurs arrêts rendus entre septembre 2024 et mars 2025, il est possible de retracer un parcours type, depuis la déclaration initiale jusqu’à la reconnaissance de l’inopposabilité, en mettant en lumière les failles souvent relevées dans l’enquête de la caisse et dans la chronologie des faits.
Ces jurisprudences apportent aux employeurs des points d’appui stratégiques pour contester une prise en charge qu’ils estiment injustifiée.
Le moment de l’accident : repérer les premières failles
Tout commence par la déclaration de l’accident. C’est dans ces premiers instants que surgissent souvent des imprécisions, des contradictions ou des anomalies que la caisse, parfois, ne relève pas. Pourtant, la matérialité de l’accident doit être établie par des éléments objectifs, distincts des seules déclarations du salarié.
Dans un arrêt de la cour d’appel de Nîmes (3 octobre 2024, n° 23/01889), le salarié déclarait un accident survenu « en fin d’après-midi » sans précision horaire. Aucun témoin, aucun signalement immédiat, et une information de l’employeur transmise… trois semaines plus tard. La cour rappelle que le salarié aurait dû, selon l’article R. 441-2 du code de la sécurité sociale, informer son employeur dans un délai de 24 heures.
À défaut, et en l’absence de preuve d’un événement précis, la CPAM ne pouvait valablement fonder sa décision.
De même, à Versailles (27 février 2025, n° 24/00439), l’absence de signalement le jour même, l’absence d’enquête de la caisse et la consultation médicale tardive (trois jours après) ont conduit la cour à écarter la présomption d’imputabilité.
La réaction immédiate du salarié (ou son absence) est donc un élément déterminant. Un employeur doit être attentif à toute déclaration tardive, à toute absence de témoin, à tout récit flou.
Ces failles peuvent devenir des leviers contentieux redoutablement efficaces.
La réaction du salarié et les soins reçus : incohérences révélatrices
La cohérence entre la description de l’accident et les suites médicales constitue un second axe majeur d’analyse.
Dans une décision de la cour d’appel de Riom (4 mars 2025, n° 22/02392), le salarié affirmait qu’un « fût pesant entre 90 et 130 kilos » lui était tombé dessus. Or, le seul certificat médical produit, établi par un généraliste en cabinet le jour même, faisait état de simples douleurs lombaires justifiant trois jours d’arrêt.
Aucun passage aux urgences, aucun cliché d’imagerie, aucun traitement spécifique. Pour la cour, cette discordance entre la violence alléguée du choc et la légèreté des lésions médicalement constatées écarte la vraisemblance du récit.
Le même raisonnement est suivi par la cour d’appel d’Angers (26 septembre 2024, n° 22/00250), où l’origine dégénérative des douleurs à l’épaule a été confirmée par les médecins, excluant tout traumatisme brutal.
L’assuré n’avait d’ailleurs parlé à personne de l’existence d’un accident.
Ces exemples rappellent l’importance pour l’employeur de recueillir dès les premiers instants les attestations de collègues, de vérifier les premiers certificats médicaux, leur date, leur contenu, et leur lien temporel avec les faits.
Lorsque le certificat initial est postérieur de plusieurs jours ou imprécis, il devient un élément d'affaiblissement du dossier de la caisse.
L’instruction par la CPAM : une enquête parfois trop sommaire
L’une des erreurs fréquentes de la CPAM tient à la faiblesse, voire à l’absence, de véritables investigations. Le respect du contradictoire, la collecte de témoignages, l’analyse des réserves : autant d’étapes qui sont parfois négligées, au mépris des droits de l’employeur.
Dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Paris (21 février 2025, n° 21/00767), le salarié avait donné deux versions de son accident : d’abord une chute sur le parking, puis une glissade dans ses escaliers.
Des mails internes de l’entreprise confirmaient la seconde version. La caisse, pourtant informée de cette contradiction, a maintenu sa décision. La cour d’appel a logiquement rappelé qu’en présence d’éléments contradictoires non levés par une enquête rigoureuse, la présomption d’imputabilité ne peut s’appliquer.
Plus encore, dans une affaire jugée à Versailles (7 novembre 2024, n° 23/03542), deux collègues ont attesté n’avoir vu ni entendu quoi que ce soit. Le salarié, qui se plaignait déjà de douleurs les jours précédents, n’a présenté aucune preuve d’un événement soudain. La CPAM n’a pas davantage produit de témoignage. Le caractère professionnel du sinistre a été écarté.
Il est donc fondamental que l’employeur adresse des réserves motivées dans les délais légaux, et suive de près l’instruction. Lorsque la caisse manque à ses obligations, cela renforce la recevabilité et la pertinence de la contestation.
De la contestation à l’inopposabilité : un contentieux efficace
Les arrêts analysés confirment que lorsque l’employeur mobilise les bons arguments – contradiction des versions, incohérence médicale, témoignages absents, déclaration tardive –, les juridictions acceptent de déclarer la décision inopposable.
La cour d’appel de Paris (6 septembre 2024, n° 21/01290) souligne par exemple que l’incohérence entre le doigt blessé (main droite dans la déclaration, main gauche dans le certificat chirurgical) interdit à la caisse de démontrer la matérialité des faits.
À Riom (24 septembre 2024, n° 22/01420), une simple douleur signalée par téléphone, sans témoin ni cohérence médicale, a suffi à écarter la présomption. La CPAM, qui ne disposait d’aucun autre élément que les déclarations du salarié, a vu sa décision écartée.
Enfin, à Aix-en-Provence (30 juillet 2024, n° 22/16470), le passé médical du salarié (sciatique connue) et l’absence de déclaration immédiate ont convaincu la cour que l’origine professionnelle du lumbago n’était pas prouvée.
En somme, un combat qui débute dès la déclaration d'accident du travail
Ces décisions rappellent que la présomption d’imputabilité des accidents du travail n’est pas automatique. Elle repose sur une preuve de la matérialité du fait accidentel, que la caisse ne peut établir par les seules déclarations du salarié.
Pour l’employeur, l’enjeu est double : prévenir les reconnaissances abusives en formulant des réserves motivées dès la déclaration, puis contester la décision si les conditions légales ne sont pas réunies. En structurant une argumentation autour de la chronologie des faits, des incohérences médicales et des manquements procéduraux de la caisse, il devient possible d’obtenir l’inopposabilité de la décision de prise en charge.
Dans un contexte où les coûts liés aux accidents du travail pèsent lourdement sur les entreprises, cette voie contentieuse mérite d’être pleinement mobilisée.




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