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L’existence d’un lien probable entre les produits utilisés et la maladie déclarée est insuffisante à elle seule pour faire jouer la présomption du tableau des maladies professionnelles.

  • Photo du rédacteur: Rodolphe BAYLE
    Rodolphe BAYLE
  • 28 mars
  • 4 min de lecture

Arrêt CA Versailles, 6 mars 2025, n°24/00136

Si vous êtes employeur dans le secteur du bâtiment, vous savez que les termes "goudron", "bitume", "maladie professionnelle" ou "CPAM" n’annoncent jamais une bonne journée. Et quand tout ça se retrouve dans un même dossier de contestation, autant dire qu’il vaut mieux être bien accompagné.

Dans cette affaire portée devant la cour d’appel de Versailles le 6 mars 2025, la société [5] a justement décidé de ne pas se laisser rouler dans la braie. Résultat : victoire de l’entreprise contre la CPAM, avec un arrêt limpide à retenir comme jurisprudence de défense en cas de prise en charge abusive.

Décortiquons cette décision pour comprendre ce qui était en jeu, ce que la cour a dit, et surtout : ce que vous, employeurs, pouvez retenir pour reprendre le contrôle sur les AT/MP.

1. Une prise en charge acceptée un peu vite, et un employeur mis à l’écart

L’affaire débute classiquement : un ancien salarié, étancheur de profession, déclare une tumeur de la vessie (carcinome urothélial) qu’il attribue à ses conditions de travail chez la société [5], entre 1971 et 1992.

La CPAM de la Haute-Vienne décide de reconnaître la maladie au titre du tableau n°16 bis des maladies professionnelles, qui concerne les affections provoquées par les goudrons de houille, brais de houille, huiles de houille et suies de charbon. Le tout sans saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), car elle estime que les conditions du tableau sont réunies.

L’entreprise conteste. Elle affirme qu’on l’a mal informée, qu’elle n’a pas eu accès à tous les documents utiles, et surtout que son salarié n’a jamais été exposé à ces produits-là.

2. Deux questions de droit fondamentales

La cour d’appel a dû répondre à deux problèmes de droit majeurs, bien connus des juristes en droit social mais trop souvent négligés par les caisses :

📌 Première question : le contradictoire a-t-il été respecté ?

Peut-on opposer une décision de prise en charge à un employeur si celui-ci n’a pas eu connaissance de l’ensemble du dossier, ou si certaines pièces lui ont été dissimulées ?

La société [5] dénonçait un traitement à géométrie variable : elle a été informée d’une déclaration de maladie en juillet 2019… mais la décision de la CPAM portait en réalité sur une autre déclaration, antérieure, d’avril 2019. Ajoutez à cela une communication partielle des pièces (certificats médicaux non transmis, colloque médico-administratif resté dans l’ombre), et on comprend la colère.

La cour rejette toutefois cette argumentation, en estimant que :

  • L’entreprise a bien reçu les éléments clés du dossier (nom du salarié, nature de la pathologie, rapport employeur, fiche de colloque, etc.).

  • Le secret médical empêche la transmission intégrale de certains documents.

  • L’information transmise était suffisante pour que l’employeur exerce un recours.

Même si cette partie de la décision peut laisser un goût amer, elle rappelle une règle : en matière de maladie professionnelle, la CPAM n’a pas à tout dire, mais elle doit dire l’essentiel.

📌 Deuxième question : les conditions du tableau 16 bis étaient-elles réunies ?

L’existence d’un lien probable entre les produits utilisés et la maladie suffit-elle pour faire jouer la présomption légale du tableau ?

C’est là que l’affaire bascule en faveur de l’employeur. Car la CPAM a reconnu la maladie sur la base d’une hypothèse : le salarié aurait pu, peut-être, manipuler dans les années 70-80 des produits contenant des goudrons de houille. Mais elle n’a jamais prouvé que c’était bien le cas. Et surtout, l’activité du salarié (étancheur) ne figure pas dans la liste des travaux visés par le tableau.

👉 Et c’est ici que la cour d’appel rappelle une règle cardinale :

L’existence d’un lien probable entre les produits utilisés et la maladie déclarée est insuffisante à elle seule pour faire jouer la présomption du tableau.

La liste des activités est limitative. Le salarié n’a pas travaillé en cokerie, n’a pas fait de ramonage, n’a pas manipulé du goudron routier avant 1985. Point. Donc la présomption ne s’applique pas.

3. Les arguments de la CPAM construits autour du lien probable

Pour être parfaitement honnête, la CPAM n’a pas bâclé sa défense. Elle a tenté de démontrer que :

  • Les produits utilisés par les étancheurs à l’époque contenaient probablement des brais de houille.

  • L’exposition au goudron via la chauffe des matériaux au chalumeau était possible, donc le lien étiologique était crédible.

  • La modification du numéro de sinistre était un simple ajustement administratif, sans incidence juridique.

Bref, la CPAM a plaidé le raisonnement par plausibilité. Mais la cour a résisté : en matière de tableau à liste limitative, on ne raisonne pas en vraisemblance. On vérifie des conditions.

4. Ce que doivent retenir les employeurs : conseils pratiques

Cette affaire est une leçon de gestion stratégique des AT/MP. Voici ce que vous devez en tirer pour protéger efficacement votre entreprise :

🔎 Analysez l'ensemble du dossier avec précision

  • La déclaration de maladie professionnelle,

  • Les rapports d’enquête,

  • Les éléments transmis à la CARSAT,

  • Et insistez sur les documents non médicaux (PV de constat, correspondances, etc.).

🛠️ Soyez précis dans vos réserves

Contestez la nature exacte des produits utilisés, la composition à l’époque des faits, les conditions réelles d’exposition, et surtout : vérifiez si l’activité correspond textuellement à celles listées dans le tableau invoqué.

🧑‍⚖️ Exigez la saisine du CRRMP quand une condition fait défaut

Si l’activité n’est pas listée, la caisse doit saisir le CRRMP. Si elle ne le fait pas, l’employeur peut parfaitement demander l’inopposabilité.


La cour d’appel de Versailles a eu le mérite de recentrer le débat sur le droit, pas sur les impressions. Une maladie grave, un salarié exposé dans les années 70-80, des produits douteux… tout cela ne suffit pas, si les conditions légales ne sont pas strictement respectées.

Alors employeurs, souvenez-vous : quand la CPAM joue aux devinettes, vous avez le droit de réclamer des preuves. Et parfois, cela suffit à faire tomber la décision.

Cabinet Dairia AvocatsParce que défendre les employeurs, c’est aussi remettre un peu de rigueur dans un monde de suppositions.

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