Incohérences et contradictions : la CPAM échoue à démontrer la matérialité
- Rodolphe BAYLE
- 10 juil. 2024
- 4 min de lecture
Introduction
L’arrêt rendu par la Cour d'appel de Grenoble le 7 juin 2024 (n° 22/04090) soulève des questions essentielles concernant la preuve de la matérialité des accidents du travail et l’inopposabilité de leur prise en charge à l’employeur.
Ce cas, impliquant la CPAM de l'Isère et la société [5], offre une opportunité d’explorer les exigences rigoureuses du droit de la sécurité sociale en matière de preuve.
Contexte et faits de l’affaire
Le litige prend racine dans un incident survenu le 8 juin 2018. Mme [K], agente de service au sein de la société [5], déclare avoir ressenti une douleur aiguë à la jambe gauche en montant des escaliers, événement documenté par un certificat médical initial daté du 11 juin 2018.
Ce certificat mentionne une lombalgie aiguë due à un faux mouvement, et un arrêt de travail est prescrit jusqu'au 15 juin.
La CPAM de l'Isère, après une enquête administrative, décide de prendre en charge l’incident comme un accident du travail.
Cependant, l’employeur conteste cette décision, remettant en cause la véracité et la matérialité de l’accident.
Le litige est porté devant le Tribunal judiciaire de Grenoble, qui, le 19 novembre 2021, déclare l’accident inopposable à l’employeur. La CPAM de l'Isère fait appel de ce jugement.
Procédure et arguments des parties
En première instance
Le Tribunal judiciaire de Grenoble, après avoir examiné les éléments fournis, conclut à l'inopposabilité de la prise en charge de l’accident. Les contradictions dans les déclarations et les incertitudes concernant les circonstances exactes de l’accident soulèvent des doutes sur la matérialité de l’incident.
En appel
La CPAM de l'Isère sollicite l’infirmation du jugement de première instance, soutenant que l’accident doit être reconnu comme opposable à l’employeur, conformément à l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale.
Selon la CPAM, la déclaration d’accident et le certificat médical initial décrivent un événement survenu pendant les heures de travail, ce qui devrait suffire à établir la présomption d’imputabilité au travail.
La société [5], pour sa part, insiste sur les incohérences des témoignages et des documents médicaux, soulignant le délai de déclaration et les divergences quant à l’heure et aux circonstances exactes de l’accident.
L’employeur argue que la matérialité de l’accident n’est pas prouvée, et demande soit la confirmation du jugement initial, soit, subsidiairement, une expertise médicale.
Problématique
La question centrale de cette affaire est de savoir si les preuves présentées par la salariée et la CPAM sont suffisantes pour établir de manière certaine la survenance de l’accident comme étant un accident du travail au sens de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale.
Selon cet article, un accident du travail est défini comme un accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, quelle qu'en soit la cause, à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs.
Dans cette affaire, la salariée a déclaré avoir ressenti une douleur aiguë à la jambe gauche en montant des escaliers pendant ses heures de travail. Toutefois, l'employeur a contesté la matérialité de l'accident, arguant que les preuves présentées étaient insuffisantes pour établir que l'accident s'était produit pendant les heures de travail et qu'il était imputable au travail.
La Cour d'appel de Grenoble a donc dû examiner les preuves présentées par les parties pour déterminer si la salariée avait bien été victime d'un accident du travail et si cet accident était imputable au travail.
Pour ce faire, la Cour a examiné les déclarations de la salariée, les certificats médicaux, les témoignages des collègues de travail et les résultats de l'enquête administrative menée par la CPAM.
Analyse de la décision de la cour d’appel
La Cour d'appel de Grenoble a confirmé la décision du Tribunal judiciaire de Grenoble du 19 novembre 2021, qui avait déclaré inopposable à la société [5] la prise en charge de l'accident du travail de Mme [K]. La CPAM de l'Isère avait demandé l'infirmation de ce jugement et que la prise en charge de l'accident soit déclarée opposable à l'employeur.
La Cour d'appel a constaté des contradictions dans les déclarations et les certificats médicaux concernant la date et l'heure de l'accident, ainsi que des incertitudes sur les circonstances de l'accident. La CPAM de l'Isère a soutenu que la déclaration d'accident du travail avait décrit un accident pendant les horaires de travail et que le certificat médical initial avait décrit des lésions correspondant à celles mentionnées dans cette déclaration.
Cependant, la Cour a estimé que la matérialité de l'accident du travail n'était pas établie en raison des contradictions et des incertitudes du dossier :
La société [5] a fait valoir avoir été informée tardivement par sa salariée, le lundi 11 juin pour un accident qui serait survenu le vendredi 8 juin, soit après trois journées comprenant un week-end au cours duquel elle a pu se blesser.
La société a également souligné que la salariée n'avait pas été interrogée sur le témoignage de M. [F], la capture d'écran du logiciel interne de la caisse sur une sollicitation de l'employeur le 29 juin 2018 n'ayant pas de valeur probante comme l'a retenu le tribunal.
La société s'est appuyée sur une note de son médecin-conseil, le docteur [J], qui a relevé que la salariée a terminé ses journées de travail du 8 et du 11, mais a été ensuite placée en arrêt de travail jusqu'au 5 avril 2019, soit plus de 289 jours d'arrêt figurant au compte de l'employeur, alors que la lésion était aigüe et que son emploi sollicite beaucoup le dos.
En conséquence, la Cour d'appel a confirmé le jugement du Tribunal judiciaire et a condamné la CPAM de l'Isère aux dépens de la procédure d'appel.
Cette décision rappelle que la preuve de la matérialité de l'accident du travail incombe à la caisse primaire et que des contradictions ou des incertitudes dans les déclarations et les certificats médicaux peuvent affaiblir cette preuve.
Les employeurs doivent donc être vigilants et rigoureux dans la documentation et la contestation des accidents du travail
Toute ambiguïté ou retard peut compromettre la reconnaissance de l’accident et la prise en charge.
Pour toute question ou besoin d’assistance juridique, n’hésitez pas à contacter le cabinet Dairia Avocats, spécialiste en droit social et sécurité sociale.
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