Les réserves motivées : entre doutes et certitudes
- Rodolphe BAYLE
- 20 juil. 2024
- 5 min de lecture
Cadre juridique des réserves motivées
Les articles R. 441-6 et R. 441-7 du Code de la sécurité sociale encadrent les réserves motivées. L'article R. 441-6 stipule que l'employeur dispose d'un délai de dix jours francs à compter de la déclaration d'accident pour émettre des réserves motivées.
Ces réserves doivent être adressées à la CPAM par tout moyen conférant date certaine à leur réception.
L'article R. 441-7 précise que la CPAM dispose de trente jours francs à compter de la réception de la déclaration d'accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou engager des investigations en cas de réserves motivées.
Analyse comparée de décisions récentes
1. CA Paris, 08/03/2024, n° 20-02.539 :
La CPAM a soutenu que les réserves émises par l'employeur ne constituaient pas des réserves motivées au sens de la législation en vigueur.
Elle a argué que l'absence de témoins mentionnée par l'employeur dans la déclaration d'accident n'était pas suffisante pour remettre en cause la présomption de l'origine professionnelle de l'accident.
La CPAM a estimé qu'elle n'était pas obligée de procéder à une enquête avant de prendre en charge l'accident.
La Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal judiciaire de Créteil, déclarant inopposable à l'employeur la décision de la CPAM de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.
La Cour a jugé que la mention de l'absence de témoins constituait une réserve motivée, obligeant la CPAM à diligenter une enquête avant de statuer sur la prise en charge de l'accident. En ne le faisant pas, la CPAM a violé les règles de procédure applicables.
2. CA Paris, 16/02/2024, n° 20-02.515 :
La CPAM a soutenu que les réserves émises par l'employeur n'étaient pas suffisamment motivées pour nécessiter une enquête.
Elle a affirmé que l'absence de témoins et l'incertitude sur les circonstances de l'accident ne remettaient pas en cause la présomption d'imputabilité au travail. La CPAM a donc pris en charge l'accident sans procéder à une enquête.
La Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal judiciaire de Paris, déclarant inopposable à l'employeur la décision de la CPAM de prise en charge de l'accident.
La Cour a jugé que les réserves émises par l'employeur, mentionnant l'absence de témoins et l'incertitude sur les circonstances de l'accident, étaient suffisantes pour obliger la CPAM à diligenter une enquête préalable.
En l'absence de cette enquête, la décision de la CPAM était inopposable.
3. CA Dijon, 18/04/2024, n°22/00338 :
La CPAM a soutenu que la mention de l'absence d'événement brusque et soudain par l'employeur ne constituait pas une réserve motivée suffisante pour nécessiter une enquête.
Elle a affirmé que cette mention n'était pas étayée par des éléments de faits concrets susceptibles de remettre en cause la matérialité de l'accident ou l'existence d'une cause totalement étrangère au travail. La CPAM a donc pris en charge l'accident sans enquête.
La Cour d'appel de Dijon a jugé que la mention de l'absence d'événement brusque et soudain par l'employeur constituait une réserve motivée.
La Cour a estimé que cette mention suffisait à soulever un doute sur la matérialité de l'accident, obligeant la CPAM à diligenter une enquête préalable.
En ne le faisant pas, la CPAM a violé les dispositions de l'article R. 441-7 du Code de la sécurité sociale, rendant sa décision de prise en charge inopposable à l'employeur.
4. Cass. Civ., 29/02/2024, n° 22-17.364 :
La CPAM a soutenu que les réserves de l'employeur, mentionnant l'absence de preuve de l'accident aux temps et lieu de travail, n'étaient pas suffisamment motivées.
Elle a affirmé que ces réserves ne portaient pas sur les circonstances de temps et de lieu ni sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail, et qu'elles ne nécessitaient donc pas une enquête préalable.
La Cour de cassation a cassé la décision de la cour d'appel, jugeant que les réserves de l'employeur étaient motivées et soulevaient un doute légitime sur la matérialité de l'accident.
La Cour de cassation a estimé que l'absence de témoins et la mention de l'absence de preuve constituaient des réserves suffisantes pour obliger la CPAM à procéder à une enquête avant de statuer sur la prise en charge de l'accident.
En l'absence de cette enquête, la décision de prise en charge était inopposable à l'employeur.
Critères de validité des réserves
L'analyse des décisions révèle des critères communs pour la validation des réserves motivées. Les réserves doivent :
Soulever un doute sérieux sur les circonstances de temps et de lieu de l'accident.
Remettre en question la matérialité de l'accident ou l'existence d'une cause étrangère au travail.
Être formulées de manière précise et circonstanciée.
Les juges sont unanimes sur le fait que l'employeur n'a pas à prouver la réalité de ses réserves à ce stade. Il doit simplement démontrer qu'il existe un doute légitime nécessitant une enquête par la CPAM.
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En pratique, comment on rédige des réserves motivées ?
La lettre de réserves est un outil essentiel pour l'employeur souhaitant émettre des doutes sur la qualification d'un événement en tant qu'accident du travail.
Guide pratique des réserves motivées
Formulation des réserves : Les employeurs doivent être précis, circonstanciés et objectifs dans la formulation de leurs réserves. Mentionner des éléments factuels concrets qui soulèvent des doutes sur la matérialité ou les circonstances de l'accident.
Documentation : Il est recommandé de joindre des documents ou témoignages appuyant les réserves, même si cela n'est pas obligatoire.
Informations Préliminaires
Pour rédiger une lettre de réserves stratégique, il est nécessaire d'apporter les informations suivantes :
Identification des parties | Salarié (nom, prénom, numéro de sécurité sociale, adresse), entreprise (raison sociale, SIREN, RCS, adresse), CPAM (département, adresse). |
Fonction du salarié | Descriptif des fonctions réelles du salarié. |
Chronologie de la journée de travail | De la prise de poste jusqu'au prétendu fait accidentel |
Description du fait accidentel | Inclure des détails précis ou noter son absence si le fait accidentel est inconnu ou inexistant. |
Lieu et temps de l'accident | Indiquer si l'accident a eu lieu au temps et lieu de travail, en dehors, ou sur le trajet. |
Date et heure de l'information de l'accident | Préciser la date et l'heure à laquelle l'employeur a été informé de l'accident. |
Présence de témoins | Directs ou indirects, favorables ou défavorables à l'employeur. |
Attitude du salarié après le fait accidentel | Décrire le comportement du salarié après l'accident. |
Argumentation des réserves
Absence de témoins : Mentionner l'absence de témoins ou ceux confirmant l'absence d'accident.
Accident en dehors du temps de travail : Préciser si l'accident s'est produit en dehors des heures de travail.
Absence de mécanisme accidentel : Souligner l'absence de mécanisme permettant d'expliquer la lésion.
Déclaration tardive : Insister sur la déclaration tardive de l'accident par le salarié.
Constatation médicale tardive : Mettre en avant la première constatation médicale tardive des lésions.
Incohérence des dires : Mentionner toute incohérence dans les déclarations du salarié.
Absence d’éléments objectifs : Soulever l'absence d'éléments prouvant l'accident.
Présence d’éléments intriguants : Par exemple, le salarié se plaignant de douleurs avant l'accident.
État pathologique antérieur : Référence à un état de santé antérieur au prétendu accident.
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