Employeur, attention toutes les irrégularités ne justifient pas l'inopposabilité du taux d'IPP.
- Rodolphe BAYLE
- 16 janv.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 févr.
Le 9 janvier 2025, la Cour d'appel de Versailles a rendu une décision remarquable dans une affaire opposant la société S.A. [8] à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Le litige portait sur le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) attribué à M. [Y], salarié de l’entreprise, à la suite d’une maladie professionnelle reconnue.
Cet arrêt illustre avec précision les enjeux liés à l’évaluation des séquelles professionnelles et au respect des principes procéduraux dans les contentieux sociaux.
Contexte et chronologie des faits
M. [Y], salarié de la société S.A. [8] en qualité de préparateur de commandes, a vu son état de santé décliner progressivement en raison d’une discopathie évolutive reconnue comme maladie professionnelle en 2014, au titre du tableau n° 98 des maladies professionnelles. Après une consolidation de son état en avril 2018, la CPAM a fixé son taux d’IPP à 21 %, dont 6 % au titre du coefficient professionnel.
Ce taux, basé sur une évaluation des séquelles subies par le salarié, a été contesté par l’employeur.
La société a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre pour une révision du taux.
Ce dernier, après avoir ordonné une expertise médicale, a confirmé la décision de la caisse. Insatisfaite, la société a interjeté appel, portant l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles.
Au cours de la procédure d’appel, des questions relatives à la régularité des transmissions documentaires et au respect du contradictoire lors des expertises ont émergé, cristallisant le débat juridique.
Les arguments des parties : une bataille sur deux fronts
Les prétentions de la société S.A. [8]
La société a structuré sa contestation autour de deux axes principaux :
L’inopposabilité de la décision de la CPAM : L’employeur a souligné une carence manifeste dans la transmission des documents médicaux requis à l’expert désigné par la Cour d’appel. Cette omission aurait empêché une évaluation équitable des séquelles de M. [Y] et devrait, selon la société, entraîner l’inopposabilité de la décision.
La contestation du taux d’IPP : La société a plaidé pour l’adoption des conclusions de l’expert désigné en première instance, qui avait fixé le taux d’IPP à 10 %. Elle a également contesté la validité des 6 % supplémentaires attribués au coefficient professionnel, considérant qu’ils n’étaient pas justifiés.
La position de la caisse primaire d’assurance maladie
La CPAM a, pour sa part, défendu le taux initial de 21 % en avançant les arguments suivants :
Bien que la transmission tardive des documents médicaux soit regrettable, elle ne justifie pas en soi l’inopposabilité de la décision.
La nécessité d’une nouvelle expertise médicale était légitime, compte tenu des divergences observées entre les conclusions des experts et la méthodologie employée lors de la première évaluation.
Le problème de droit soulevé
Le contentieux a permis de soulever plusieurs problématiques juridiques fondamentales :
Les conséquences procédurales d’une carence dans la transmission des documents médicaux : Une telle carence peut-elle affecter la validité d’une décision administrative et justifier son inopposabilité à l’employeur ?
Le respect du principe du contradictoire dans les expertises médicales : Dans quelle mesure un expert doit-il assurer une concertation équilibrée entre les parties pour garantir l’équité de la procédure ?
La justification des coefficients professionnels dans l’attribution des taux d’IPP : Quels éléments de preuve sont requis pour valider un coefficient professionnel dans une telle évaluation ?
Raisonnement et solution apportée par la Cour d’appel
1. Sur la demande d’inopposabilité
La Cour a reconnu que la CPAM avait failli à son obligation de transmettre les documents médicaux dans les délais impartis, conformément aux dispositions des articles R.142-16 et R.142-16-3 du Code de la sécurité sociale.
Cependant, elle a jugé que cette carence ne constituait pas en elle-même une raison suffisante pour déclarer la décision de la CPAM inopposable.
La jurisprudence constante de la Cour de cassation impose que la sanction de l’inopposabilité ne soit prononcée que lorsqu’un manquement procédural a causé un préjudice concret et significatif aux droits de la partie contestataire.
2. Sur le taux d’IPP
En examinant les conclusions des experts, la Cour a relevé plusieurs irrégularités dans le rapport de l’expert initial, notamment une absence de consultation équilibrée entre les parties.
L’expert semblait avoir adopté les conclusions du médecin conseil de l’employeur sans véritable échange contradictoire avec le service médical de la CPAM.
Ce manquement au principe du contradictoire a conduit la Cour à ordonner une nouvelle expertise sur pièces, confiée à un consultant médical indépendant.
Pour garantir l’équité de la procédure, la Cour a prononcé que la nouvelle expertise respecte strictement le principe du contradictoire et inclue une analyse approfondie des séquelles de M. [Y].



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